Et si votre transpiration était un signe de bonne santé, même quand ça ne sent pas très bon ? 

S’il y a de l’odeur, sous vos aisselles, entre vos orteils, partout où c’est chaud et humide, c’est qu’il y a de la vie. 

Faut-il en avoir peur et éliminer tout ça à coup de désinfectants ? 

Et si ces hôtes invisibles étaient, au contraire, la meilleure protection contre les rougeurs, les boutons, les irritations, voire des infections plus graves et ne concernant pas que la peau ?

38 milliards de bactéries sur et dans le corps humain

Après l’enthousiasme des découvertes sur le microbiote intestinal , les chercheurs s’intéressent désormais aux autres microbiotes humains. 

Car oui, il n’y a pas que dans nos intestins qu’on retrouve une population pléthorique de microorganismes étrangers, combinant bactéries, microbes, virus et autres levures. Il semble en fait y avoir presqu’autant de microbiotes que d’organes dans notre corps.

C’est le cas à l’intérieur de notre corps, mais aussi, encore plus surprenant, à sa surface. Notre peau, pourtant pauvre en nutriments et relativement sèche, héberge aussi son microbiote.

Un environnement hostile, comme sur Mars

Notre peau, pour ce qui est de l’accueil de la vie, c’est un peu la planète Mars. 

Un univers aride, une surface acide (un pH aux alentours de 5, le neutre est à 7), un paysage encombré de montagnes de détritus inertes, constitués par les amas de cellules de peau morte. 

Si la peau est aussi inhospitalière, ce n’est pas par hasard. 

Sa fonction première est de jouer un rôle de barrière entre notre organisme et les agresseurs extérieurs. La surface de la muraille se doit donc d’être hostile, dure et impénétrable.

Et pourtant, sur une surface de près de 2 m² que constitue notre peau, on a identifié pas moins de 300 espèces de bactéries, grâce aux nouvelles techniques de séquençage génomique. On les appelle les bactéries commensales (“qui mangent à la même table”) : nous sommes habitués à elles et elles ne nous font aucun tort. Vous et moi, selon toute probabilité, hébergeons en permanence des hôtes tels que : Staphylococcus epidermidis, Propionibacterium acnes, ou Streptococcus mitis, pour n’en citer que quelques-unes.

En fonction de la température, de l’humidité et de la présence plus ou moins grande de sébum, on distingue trois grands types de microbiote cutané :

  • Les zones grasses (visage, intérieur des oreilles, crâne, dos) ;
  • Les zones humides (tous les replis du corps, aisselles, creux des doigts, des orteils, des genoux et des bras, sillon interfessier, ainsi que les narines) ;
  • Et les zones sèches (tout le reste).

Certaines bactéries valent mieux que d’autres

Faut-il craindre Staphylococcus epidermidis et avoir peur de Propionibacterium acnes 

Pas du tout, au contraire !

Les microorganismes qui ont colonisé notre peau sont inoffensifs.

Leur mission : empêcher des organismes indésirables – bactéries, microbes, virus – de s’y installer. 

Il est très difficile pour ces hôtes potentiellement pathogènes de s’établir sur notre peau : la place est déjà prise par des bactéries que notre corps connaît bien.

En ce sens, le microbiote cutané joue un rôle antiseptique majeur.

Mais il joue aussi un rôle important dans l’apprentissage et la régulation de notre système immunitaire. En cas d’écorchure, les bactéries commensales sont les premières à pénétrer à l’intérieur de notre peau. Elles activent la réponse immunitaire mais sans représenter de danger pour nous, puisqu’elles sont peu virulentes. La défense de la peau est enclenchée localement, au bon endroit, et leur présence empêche d’autres envahisseurs, plus dangereux pour nous, de prendre pied. .

Il n’est donc pas étonnant que des déséquilibres de notre microbiote cutané – les dysbioses, par opposition à symbiose – favorisent le développement de certaines maladies de la peau.

Si le microbiote est déséquilibré, notre peau va mal

  • L’un des signes les plus courants d’un microbiote déséquilibré est une affection qui nous a presque tous concerné un jour : l’acné. On a découvert que l’acné se développait lorsque l’espèce bactérienne prédominante dans les zones grasses de la peau, à savoir Propionibacterium acnes, était remplacée par d’autres souches bactériennes.
  • L’eczéma se développe avec la diminution de la diversité bactérienne. La peau est colonisée par Staphylococcus aureus, source de l’inflammation chronique. 
  • Le psoriasis, les pellicules, le vitiligo (une forme de dépigmentation de la peau), les verrues ou encore l’hidradénite suppurée, toutes ces infections de l’épiderme seraient liés à des déséquilibres de notre microbiote cutané.

Encore plus étonnant, le microbiote cutané jouerait un rôle dans la protection de notre peau face aux rayons du soleil

Selon des études récentes, non seulement le microbiote s’adapte au niveau d’exposition de notre peau au soleil, mais il pourrait réduire l’impact oxydatif des rayons UV. A l’inverse, un microbiote appauvri, notamment par des crèmes solaires trop agressives, pourrait être une source de fragilité pour la peau.

Restaurer le bon microbiote au bon endroit

L’idée paraît simple mais, dans la pratique, on n’est pas encore capable de restaurer un microbiote sur une zone de peau abîmée. 

On le fait pour le microbiote intestinal. C’est la technique dite de la transplantation fécale. Cette méthode consiste à introduire dans l’intestin d’un patient une flore bactérienne saine grâce aux selles d’un donneur sain. Même si le procédé vous semble peu ragoutant, sachez qu’il est utilisé dans le traitement de la maladie de Crohn avec 50% de réussite.

Mais c’est plus compliqué de transplanter un morceau de peau ! Plusieurs études explorent les moyens de restaurer le microbiote sur des zones avec des lésions cutanées .

Une peau saine, cause ou conséquence

La bonne santé de notre peau reflète bien sûr notre santé générale. Mais je ne serais pas surpris si les progrès de la recherche dans le domaine du microbiote de la peau ne révélaient pas un jour l’inverse : prendre soin de notre peau, prendre soin des bactéries et des champignons qui la colonisent, doit certainement avoir un impact sur la santé de nos organes. C’est par la peau qu’on transpire, c’est aussi par la peau qu’on respire : sa bonne santé doit influer notre santé générale, surtout dans un monde de plus en plus pollué, et où le rayonnement solaire se fait de plus en plus agressif.

A votre niveau, que pouvez-vous faire aujourd’hui pour aider votre peau?

  • Ne pas fumer

Sans surprise, le fait de fumer semble lié à une augmentation des inflammations de l’épiderme et à des déséquilibres du microbiote cutané.

  • Vous laver mais pas trop

Ne renoncez pas à vous laver les mains pour protéger la symbiose de votre microbiote cutané ! Le lavage de notre épiderme ne supprime les microorganismes qu’en surface, que nos meilleurs amis ont tôt fait de recoloniser. Mais évitez pour autant d’utiliser des produits antibactériens trop agressifs, qui pourraient déséquilibrer votre tapis protecteur. Les produits antibactériens ne font pas la distinction entre les bactéries commensales et les autres. Prenez soin de vérifier si vos produits sanitaires, mais aussi vos déodorants et crèmes solaires contiennent des allergènes, irritants, perturbateurs endocriniens ou dérivés d’alcool.

  • Nourrir vos bonnes bactéries

Comme toujours, l’alimentation semble avoir un rôle, même si on ne comprend pas encore par quels mécanismes. Des études suggèrent que le microbiote intestinal a un impact sur l’équilibre de la peau. Une alimentation équilibrée et des probiotiques favorisant la flore intestinale pourraient donc améliorer la santé de votre épiderme.

Les probiotiques sont des micro-organismes bénéfiques pour le microbiote humain, en particulier intestinal. Ils se retrouvent par exemple dans les produits laitiers, notamment les yaourts, les boissons et aliments fermentés, comme le kéfir, ou la levure de bière. Si vous n’êtes pas amateur de choucroute au fromage, vous trouverez de nombreux compléments alimentaires contenant les souches de bactéries les plus bénéfiques pour votre microbiote.

En conclusion, prendre soin de votre peau ne se résume pas à appliquer des crèmes et des soins. 

Préservez aussi ses habitants invisibles et leur équilibre. Parce que derrière chaque petite bactérie réside une protection essentielle pour votre bien-être.

Prenez soin de vous,

Léopold Boileau, Votre correspondant

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Sources :

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